Ne t’en rends-tu pas compte ? Tu es obligé de renouveler ton histoire personnelle en racontant à tes parents, à ta famille et à tes amis tout ce que tu fais. Par contre, si tu n’avais pas d’histoire personnelle, il n’y aurait pas une seule explication à fournir à qui que ce soit, personne ne serait déçu ou irrité par tes actes. Mais surtout personne n’essaierait de te contraindre avec ses propres pensées.
Il est préférable de ne pas avoir d’histoire personnelle parce que cela nous libère des encombrantes pensées de nos semblables.
Le mal est qu’une fois qu’ils te connaissent, tu deviens pour eux quelque chose qui va de soi, et alors tu n’es plus capable de trancher le cours de leurs pensées. Personnellement j’aime l’ultime liberté de rester inconnu. Personne ne me connaît avec certitude à la manière dont les gens te connaissent.
- Mais cela revient à mentir.
- Mensonge ou vérité m’importent peu, trancha-t-il avec sévérité. Les mensonges sont des mensonges seulement pour qui a une histoire personnelle.
Si on n’a pas d’histoire personnelle, rien de ce qu’on dit ne peut être considéré comme un mensonge. Ton problème est de tout vouloir expliquer à tout le monde, mais du même coup tu voudrais garder ta fraîcheur, la nouveauté de ce que tu fais.
Vois-tu, reprit-il, nous avons une seule alternative. Ou bien nous prenons tout comme allant de soi, comme réel, ou bien nous adoptons le point de vue contraire. Si nous suivons la première proposition, nous parvenons à l’ennui mortel, du monde et de nous-mêmes. Avec le second choix, ce qui suppose que nous effacions notre propre-histoire, nous créons le brouillard autour de nous. C’est une situation mystérieuse et passionnante ; personne ne sait d’où va sortir le lapin, pas même nous.
J’avançais l’idée qu’effacer sa propre-histoire risquait d’accroître notre impression d’insécurité.
- Lorsque rien n’est certain, nous restons en alerte, nous sommes en permanence prêts au départ. Il est plus excitant de ne pas savoir dans quel buisson se cache le lapin que de se conduire comme si nous savions tout.
Petit à petit tu dois créer un brouillard autour de toi. Il faut que tu effaces tout autour de toi jusqu’à ce que rien ne puisse plus être certain, jusqu’à ce que rien n’ait plus aucune certitude, aucune réalité. Actuellement ton problème réside en ce que tu es trop réel. Tes entreprises sont trop réelles, tes humeurs sont trop réelles. Ne prends absolument rien comme allant de soi. Il faut que tu commences par t’effacer toi-même.»
Pratiques
- Ne pas raconter automatiquement ce que l'on fait à nos proches, parce que notre ego cherche ainsi à s'affirmer, et que ce besoin consolide l'histoire personnelle.Il ne suffit pas de s'effacer seulement vis-à-vis d'autrui, mais aussi vis-à-vis de soi-même... Car en premier lieu nous maintenons notre histoire personnelle en nous la racontant constamment à nous-même. Or cela est particulièrement néfaste quant aux aspects négatifs que nous associons à notre histoire. Mais au-delà de ceux-ci, c'est toute notre histoire qu'il s'agit d'effacer...
Se dire des mensonges ; procédure à suivre :
L'exercice consistant à se dire des mensonges augmente notre confiance en nous et réduit notre propension à s'infliger mentalement des châtiments. Quand on l’exécute dans le cadre d'une stratégie générale de guet, cette tendance à l'auto-punition disparaît complètement. Ces résultats ne sont pas le produit d'une sorte de lavage de cerveau ou d'autosuggestions, comme on pourrait le croire. On n'en vient pas à croire que les mensonges sont des vérités, mais notre attention s'éveille à une manière d'être différente de celle qui avait toujours été la nôtre, et on prend conscience que l'une et l'autre sont des leurres, et qu'en définitive, mises face à face, elles s'annihilent.
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