"Para mi solo recorrer los caminos que tienen corazaon, cualquier camino que tenga corazon. Por ahi yo recorro, y la unica que vale es atravesar todo su largo. Y por ahi yo recorro mirando, mirando, sin aliento."

Devenir un chasseur

Le voyage à Ixtlan donne des techniques permettant d'épargner son pouvoir personnel.

"Je pense qu'il fut un temps où chasser était une des plus importantes activités qu'un homme puisse accomplir. Tous les chasseurs étaient des hommes puissants. En fait, pour supporter les rigueurs d'une telle vie, un chasseur devait en tout premier lieu être puissant. Il y eut un temps où tout le monde savait qu'un chasseur était le meilleur des hommes."

Don Juan réveille ici en chacun "l'esprit du chasseur", esprit qui a dominé dans le genre humain bien plus longtemps que notre état grégaire actuel ! 

"Etre chasseur suppose que l'on connaisse beaucoup de choses, reprit-il. Cela suppose que l'on puisse voir le monde de plusieurs façons. Pour être chasseur il faut être en parfait accord avec tout le reste."

"Les chasseurs doivent être des hommes exceptionnellement en possession d'eux-mêmes, continua-t-il. Ils laissent le moins de choses possible au hasard."

Cet état de chasseur est bien avant tout un état d'être, un état d'attention intense au Monde. Un être en chasse n'est pas dans le même état d'esprit ni dans le même degré d'attention qu'un être se sentant en sécurité et dans un autre type d'activité.

De même, un être qui chasse sait qu'il peut lui-même être chassé... Pour un tel être, le monde l'entourant n'est pas neutre ou tout le temps bienveillant. Un chasseur prend la mort comme conseillère et il a conscience que ses choix, ses actes, ont des conséquences bien concrètes dans un monde où tout peut être tranché en retour.

Le chasseur s'applique d'ailleurs a récupéré son propre tranchant ainsi qu'à savoir très vite si un "lieu" (cela peut être une personne, une situation, une idée autant qu'un lieu bien concret) lui est bénéfique ou non. Le cas échéant, à trancher tout lien toxique qui l'affaiblirait et le conduirait à la mort d'une manière ou d'une autre.

Plus globalement, en l'initiant à l'art de la chasse (ou plus abstraitement, à l'Art du Guet), c'est à la voie du Guerrier que don Juan initie CC, voie dont il dira qu'elle est "la colle nécessaire" sur le chemin vers la Connaissance. Ce dernier n'étant pas systématiquement un petit sentier bucolique serpentant dans un doux et apaisant paysage de campagne...

Le guerrier reconnaît ainsi la présence d'ennemis qui peuvent abaisser son pouvoir personnel, n'hésite pas à les désigner et à s'en défaire. Il assume cependant une totale responsabilité dans les combats qu'il mène. L'ennemi principal pour lui est son propre manque de puissance. Sa propre complaisance à s'être laissé déposséder de son pouvoir. Et à devoir désormais subir une situation.

Ainsi la voie toltèque, fondée sur l'expérimentation personnelle,  ne renie pas le concept de puissance mais en fait plutôt un préalable à l'application concrète de la sagesse. Il s'agit d'énergie avant tout et sur laquelle le guerrier veille attentivement. Il la traque comme il s'efforce de l'épargner. Elle lui permet aussi de maintenir son intégrité et son originalité dans un monde où la pression coercitive du collectif n'est pas anodine...

Chez les Celtes, les initiés étaient appelés des Dru Wid (des puissants voyants) et de même, l'Epée avait sa place au côté de la Coupe. En Orient également, l'art de la guerre a sa place dans l'Initiation.

Sur ces voies, il y a la conscience qu'un tel chemin vers la Liberté ne fait pas l'économie d'un changement drastique dans sa manière de vivre, d'un "nouvel être au monde" où le concept de puissance a sa place et sa nécessité.

"- Mais don Juan, je suis heureux dans ma peau. Pourquoi changer de vie ?
D'une voix douce il entonna une chanson mexicaine, puis il en fredonna l'air. Sa tête allait d'avant en arrière au rythme du chant.
- Penses-tu que nous soyons égaux, toi et moi ?" demanda-t-il d'un ton tranchant.
- Bien sûr que nous le sommes.
Très naturellement j'étais condescendant. J'éprouvais pour lui beaucoup d'amitié, bien que parfois il fût insupportable, néanmoins je conservais bien au fond de moi-même la certitude, que pourtant je n'avais jamais exprimée, qu'un étudiant, donc un homme civilisé du monde occidental, restait supérieur à un Indien.
"- Non, dit-il calmement. Nous ne le sommes pas.
- Et pourquoi ? Il est évident que nous le sommes.
- Non, répliqua-t-il d'une voix douce. Je suis un chasseur et un guerrier ; toi tu es un maquereau."

J'en restais bouche bée. Je n'arrivais pas à croire ce qu'il venait de dire. Je laissai tomber mon carnet de notes et le regardai, abasourdi. Puis, naturellement, la fureur me gagna.
Il me regardait calmement, droit dans les yeux. J'évitais son regard. Alors il se mit à parler. Il prononçait clairement ses mots. Ils jaillissaient lentement mais mortellement. Il dit que je maquereautais pour quelqu'un d'autre, que je ne menais pas mes propres combats mais ceux d'inconnus, que je ne désirais pas apprendre ce qui touche aux plantes, ni chasser, ni n'importe quoi d'autre, et que son monde d'action précises, de sensations, de résolutions, était infiniment plus efficace que la stupide idiotie que je nommais "ma vie".

J'étais interloqué. Il avait parlé sans agressivité et sans mépris, mais avec une telle puissance et un tel calme que je n'étais même plus en colère.

Un long silence suivit. Embarrassé à l'extrême, je ne savais que dire. J'attendais qu'il parle. Les heures passèrent. Graduellement il s'immobilisa jusqu'à ce que son corps acquière une rigidité étrange et presque effrayante. Sa silhouette ne se dégageait plus qu'à peine dans la nuit environnante. Lorsque l'obscurité devint totale on eût dit qu'il s'était fondu dans la noirceur des rochers. Son immobilité était si totale qu'il semblait ne plus exister du tout.

Vers minuit je me rendis compte qu'il pourrait rester et resterait certainement immobile dans ce désert, peut-être pour l'éternité s'il le voulait. Sans aucun doute son monde, un monde d'actions précises, de sensations et de résolutions, se révélait remarquablement supérieur au mien.
Calmement je touchais son bras. Les larmes jaillirent de mes yeux."

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